Après des études de philosophie, Jonathan Millet part de longues années filmer des pays lointains ou inaccessibles pour des banques de données d’images. Seul avec sa caméra, il traverse et filme une cinquantaine de pays (Iran, Soudan, Pakistan, toute l’Amérique du Sud, le Proche Orient, l’Afrique de long en large). Il commence ainsi à apprendre à saisir les visages, les espaces, à retranscrire une atmosphère en quelques plans.
Après cette expérience, Il réalise le long métrage documentaire Ceuta, douce prison sélectionné dans plus de 60 festivals internationaux puis Dernières nouvelles des étoiles, tourné en Antarctique et La disparition tourné en Amazonie.
A l'origine, Jonathan Millet voulait faire un documentaire centré sur un centre de soin pour victimes de guerre et de torture. Puis, au fil de ses recherches, le metteur en scène a entendu parler de réseaux souterrains, de chasseurs de preuves et de groupes qui traquent en Europe pendant des mois les criminels de guerre. Il se rappelle : "Je rencontre un grand nombre de Syriens dont j'écoute les récits, de guerre, d’emprisonnement, de torture."
"Leur parole est d'une puissance sans égale, mais je ne trouve pas de place juste pour ma caméra. Ce que je cherche quand j'écris, sans rien omettre de la dureté de ces réalités, c'est un endroit de lumière, d'espoir possible. Que cet espoir se concrétise ou non, cela devient le mouvement du film. Je ne crois pas au drame sans issue, aux situations plombées dont on ne sort pas. Je sens qu’il y a là quelque chose de fort qui m'emporte immédiatement."
"Cette découverte est concomitante avec la parution en avril 2019 dans Libération de deux articles sur la cellule Yaqaza et la traque du « chimiste » en Allemagne. A partir de cet instant, je veux remonter ce fil, sentant soudain que tout mon travail documentaire en amont va pouvoir prendre corps sur un récit en mouvement."
Le casting a duré plus d’un an. Jonathan Millet a rencontré le maximum de comédiens arabophones entre 20 et 40 ans, dans plus de 15 pays, dont Adam Bessa : "Il émane de lui une aura de gravité, qui permet de croire qu'il lui est arrivé le pire. Quelque chose pèse sur lui. On ressent, en le regardant immobile, les tourbillons de son esprit troublé. On a peur pour lui, et on a peur de lui, de ce qu'il peut faire. C'est cela que je recherchais pour incarner Hamid."
"Comme je viens du documentaire, et que j’ai rencontré de vrais prisonniers syriens, il suffit d’une phrase ou d’un silence pour sentir la puissance absolue de la force d’un vécu aussi terrible. Et cela Adam a su le retranscrire."
En préparation de ce tournage qui a duré quarante jours entre Strasbourg, la Jordanie et Berlin, Adam Bessa a beaucoup travaillé les gestes de son personnage, sa démarche, sa façon de s’asseoir et de se comporter avec sa mère, etc. Jonathan Millet précise : "Les membres de cette cellule passent parfois neuf mois à traquer leur cible. Que se passe-t-il dans un corps quand on a son bourreau aussi longtemps entre ses mains ? Pour comprendre ça, on a dû travailler avec Adam un film de gestes, celui d’un personnage muet."
"Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il n’est pas lisse ; il a beau être calme, douloureux, je sens qu’à tout moment, il peut me surprendre, aller poignarder son ennemi ou le jeter contre le tram. Il y avait aussi la question de l'accent. Je ne voulais pas réaliser un énième film occidental parlé dans un arabe approximatif. Adam a donc dû travailler des semaines pour avoir le meilleur accent syrien possible."
Jonathan Millet voulait filmer l'écoute, le tactile, l'odeur en reléguant hors-champ toutes les images sursignifiantes comme la guerre ou la torture, qui n’est appréhendée que par des enregistrements. Le réalisateur confie : "La mise en scène nous immerge dans l'intériorité d'Hamid, au cœur de ses doutes. Les sensations dans ce film prédominent telle la perception amplifiée ou déformée des sons, l'odeur de la sueur, la puissance du toucher dans la séquence où Yara le panse, ou le kaléidoscope des couleurs sur les étals du marché de Beyrouth."
"Le théâtre des opérations du récit, c'est le tourbillon des pensées d'Hamid. Je voulais raconter la Grande Histoire à travers l'intime d'un personnage."
Ce film a été présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024 et en est le film d'ouverture.
Tawfeek Barhom, qui jouait le protagoniste de La Conspiration du Caire, incarne Harfaz dans Les Fantômes. A l’origine, Jonathan Millet ne souhaitait pas le solliciter pour jouer ce personnage. Il se rappelle : "Effectivement, je l’avais vu dans La Conspiration du Caire, mais je l’avais trouvé trop jeune, trop naïf, bref : il n’avait rien à voir avec l’aura de mystère qui entoure Harfaz. Si vous regardez bien, au début du film, Harfaz n’est qu’une silhouette. Quand j'ai rencontré Tawfeek, je lui ai donc demandé de se déplacer, d’aller chercher un café pour l’observer."
"Et c’est là que j’ai senti la fascination qu’il pouvait exercer et qui est celle du personnage. Il porte en lui un magnétisme réel. Tawfeek est palestinien et, quand je l’ai rencontré, il ne parlait pas un mot de français. Or, il allait devoir tourner une scène qui serait filmée en un plan de douze minutes dans cette langue. Lui aussi a dû sacrément travailler, comme Julia Franz Richter qui ne parlait pas français non plus."